Je n’ai pas vraiment « choisi » d’avorter… Quand mon test de grossesse s’est montré positif, j’étais plutôt heureuse mais mon ami m’a dit qu’il me quitterait si je gardais le bébé… Je me suis laissée faire, par peur. Peur de perdre mon amoureux, peur de me retrouver toute seule, peur de la réaction de mon père s’il apprenait que j’étais enceinte. J’ai donc avorté par peur. J’avais 19 ans.
Nous étions en 1975. La loi venait de passer en France. D’abord nous avons eu une réunion au planning familial. Il y avait d’autres couples. On ne nous a pas dit grand-chose. Je me sentais d’une autre planète, déconnectée.
Ensuite, l’avortement se passait dans un centre, à Montpellier. Mon ami est reparti et j’ai dû passer la nuit-là avant l’avortement le lendemain matin. J’étais dans une chambre avec d’autres filles comme moi. En pleine nuit j’ai eu une attaque de panique terrible. J’ai crié, hurlé. Le médecin est venu. Il a essayé de me rassurer en me disant que ce n’était qu’une toute petite cellule pas plus grosse qu’une tête d’épingle, que ce n’était rien. Les autres filles essayaient aussi de me rassurer. L’une d’elle était là pour son 4ème avortement ! J’avais envie me sauver en courant, mais j’étais « prisonnière ». Je ne pouvais rien faire. Je garde de cette nuit-là un souvenir de panique et de cauchemar. Pour l’avortement j’ai été anesthésiée, rien vu, rien senti. Je me suis réveillée de l’anesthésie en énormes sanglots … Le reste est flou…
Immédiatement après l’IVG j’ai ressenti une immense et profonde tristesse. J’ai vite enfermé mes sanglots, et ma peine, mon cauchemar dans une boite que j’ai enfouie au plus profond de mon coeur.
Mon ami et moi avons continué à vivre ensemble, comme si de rien n’était. Nous n’en parlions pas.Nous nous sommes mariés un an et demi plus tard. Au début, rien ne semblait avoir changé dans notre vie…
Les problèmes sont venus après les naissances de nos filles. J’avais de plus en plus de ressentiment envers mon mari. Je suis devenue hyper maniaque : ma maison devait être nickel, chaque chose à sa place exacte. (un TOC…) J’étais hyper mère-poule, hyper protective…J’ai commencé à avoir des attaques de panique la nuit, surtout quand mon mari était en voyage. Un jour en passant l’aspirateur dans la chambre d’une de mes filles, j’ai trouvé un petit bébé bonux en plastique. Là j’ai compris : les angoisses venaient de notre avortement. Parfois, je m’étonnais de ne pas avoir de sentiments forts pour mes enfants, mon mari, comme si je devenais de plus en plus insensible. Je ne pouvais pas parler de notre passé, de nos débuts, de notre histoire. Je refusais d’aller dans ces souvenirs-là.
Notre fille ainée à son tour a commencé à avoir des crises d’angoisses terribles, vers 8 ans, des angoisses de séparation qui la rendaient physiquement malade. La psychologue scolaire après avoir parlé à chacune de nous séparément, m’a demandé d’avouer à notre fille notre avortement là, sur place. La psy m’affirmait que notre fille savait inconsciemment qu’il s’était passé quelque chose avant sa naissance.
Ma guérison s’est faite petit à petit, tout au long de ces 39 années… et je pense qu’elle continuera jusqu’à ma mort! La confession a été une première étape. Puis J’ai fait une expérience forte de l’amour de Dieu en 1982 et j’ai renoué avec la foi. Mon mari a suivi 2 ans plus tard. Nous avons rencontré une association qui nous a aidés à donner un nom à notre enfant, à en parler. Plusieurs années plus tard, nous avons participé à une retraite de la Vigne de Rachel. Il n’y pas eu de grande guérison éclatante, mais plusieurs petites guérisons, comme un pas après l’autre.
Ce n’est que 34 ans après notre avortement, que la boite au fond de mon coeur a pu se fissurer. Lors d’un voyage de mon mari auprès de son frère malade, j’ai eu comme une « révélation » de son état de souffrance au moment de notre rencontre en 1974. Il venait de perdre sa mère d’un cancer. Sa petite amie avait avorté leur bébé sans lui demander son avis et elle venait de le quitter pour se marier sans rien lui dire… Mon coeur s’est rouvert. Après son retour, à Noel 2009, j’ai enfin pu pleurer pour mon bébé …J’ai pu à nouveau ressentir l’amour fou de nos débuts pour mon mari, mes enfants, pleurer, apprendre à me donner. Cela m’a pris du temps, mais maintenant j’aime notre histoire, notre passé, malgré tout ce qui est arrivé et je sais que je suis pardonnée, guérie, aimée. La cicatrice est toujours sensible, mais je peux la regarder en face avec mon mari.
J’ai décidé de rompre le silence parce que tout ce qu’on raconte sur l’avortement est mensonge: non ça n’aide pas les femmes, non, ce n’est jamais un solution, oui, c’est terrible ! Ca détruit un enfant et ses parents avec, en profondeur, et pour longtemps.
rappel: témoignage de Christian, mari de Christine
J’avais 21 ans quand ma petite amie m’a annoncé qu’elle était enceinte. Nous avions des relations élastiques. Cet été là, je travaillais au Maroc, elle passait ses vacances en Espagne, elle est venue me voir avant de repartir sur Paris. C’est de Paris qu’elle m’a téléphoné.
Elle avait déjà pris sa décision d’avorter et avait tout organisé.
Elle allait partir en Angleterre chez sa grand-mère. A cette époque l’avortement était déjà légal en Angleterre, mais pas encore en France.
J’ai suggéré, du bout des lèvres, qu’on pourrait se marier.
Mais elle avait trop peur de l’annoncer à son père, il n’était pas question de garder le bébé, ni de se marier.
Après l’avortement, nous nous sommes revus une ou deux fois et on est parti chacun de son côté sans jamais parler du bébé. Quelques mois plus tard j’ai appris par hasard qu’elle s’était mariée.
Je ne savais pas l’impact que cet avortement allait avoir sur moi, ma vie, sur celle qui allait être ma femme, sur ma famille, sur nos enfants.
Ma mère était décédée le même été, alors étudiant à Montpellier, j’étais un peu perdu.
Je me suis alors blindé, j’ai enfoui et l’avortement et mes sentiments.
Je me suis fermé.
Je ne voulais plus m’attacher à personne, j’avais peur de souffrir et de faire souffrir, de ne pas être à la hauteur de situations difficiles, de ne pas pouvoir les affronter et les surmonter.
Quand Christine, ma future épouse, m’a dit qu’elle était enceinte, j’étais complètement anesthésié.
Je ne pouvais pas m’engager. Pour moi, l’avortement était la seule issue.
Le premier avortement avait détruit quelque chose en moi et ouvert la porte sur le deuxième avortement, comme une suite logique.
Je J’avais 21 ans quand ma petite amie m’a annoncé qu’elle était enceinte.
ne me souviens de rien.
J’ai de nouveau enfoui cet avortement et je ne pouvais pas en parler.
Pourtant, Christine et moi, nous nous sommes mariés et avons eu cinq filles.
Si je donnais l’impression d’être super bien, ça a été un long et douloureux chemin de guérison intérieure et de pardon à donner et à accepter que nous avons fait ensemble et heureusement.
C’est un chemin qui est passé par une rencontre avec Dieu.
Un Dieu d’amour, lui-même source de l’amour et de la vie.
En couple nous avons travaillé avec une organisation qui s’occupait des femmes enceintes qui pensaient à l’avortement, ou de femmes qui avaient avorté.
J’ai franchi une autre étape décisive quand j’ai pu parler de l’avortement, d’abord en couple puis avec nos filles.
Ne pas en parler, c’était comme une gangrène, un poison qui se répandait en moi.
En parler a permis d’arrêter à ce poison de faire d’avantage de dégâts et de continuer sur ce chemin de guérison.
Nous sommes aussi allés ensemble à un weekend de guérison, ça a été très fort pour moi.
On devait écrire une lettre à notre enfant, à mes enfants pour moi, et la lire.
J’ai pu écrire une lettre, mais je n’ai jamais pu la lire à haute voix tellement l’émotion était forte, les mots ne passaient pas ma gorge.
Ce weekend aura été une autre étape décisive.
Je ne pense pas que la guérison soit synonyme d’oubli, il n’est pas un jour où je ne pense à ces deux enfants, mais on apprend à vivre avec soi-même, à aimer et à s’ouvrir aux autres, à aider ceux et celles qui ont eu un ou des avortements, par exemple.
J’ai décidé de rompre le silence pour que le monde sache que l’avortement touche aussi les hommes et profondément. Le fait de devenir un parent, père ou mère, n’a rien d’anodin.
On est fait pour donner la vie.